dimanche 22 juin 2008

Croatie 11


A la surface, le vent venait de plein est. Mais là-haut, un souffle contraire ramenait un plafond noir et épais qui nous a vite dégringolé sur la tête.
La tempête, pour le novice qui l'affronte pour la première fois, fait remonter le cœur au bord des lèvres et vous laisse trempé et fripé comme une vieille chaussette qui sort du lave-linge. A ces moments-là, vous êtes content d'avoir un vrai pilote sur le voilier, un capitaine, un skipper, un qui est né avec le "timon" dans les mains et qui traverse l'orage sans se soucier de rien. Le voir sourire tandis que des litres d'eau lui fouettent la face, et, qu'à quelques mètres du bateau, un éclair vient déchirer le ciel, tandis qu'un coup de tonnerre débouche les oreilles de l'équipage inquiet : voilà une leçon d'humilité bonne à prendre !

jeudi 19 juin 2008

Croatie 10

Lire La Vie sur le Mississippi de Mark Twain, tout en voyageant sur un voilier, c'est un peu comme lire Moby Dick en pêchant des sardines. Les deux tomes de ce livre sont exemplaires de la générosité absolue de l'écrivain. ce que Mark Twain partage, ce n'est pas seulement l'extraordinaire richesse de la navigation sur le Mississippi, ce n'est pas seulement le pittoresque, le folklore bourré d'anecdotes qui font l'histoire du fleuve, des bateaux qui le parcourent, des marins qui le pratiquent... Ce que le récit direct et sans fioriture de Mark Twain offre, c'est son enthousiasme, sa naïveté émerveillée qui, du début à la fin du récit, donne l'illusion au lecteur d'être à la fois un enfant, un apprenti, un aventurier, et surtout, d'être à bord.Pour le plaisir, un court extrait de ce livre fabuleux, édité en France dans la Petite Bibliothèque Payot/Voyageurs. Dans le chapitre XVI, Twain évoque les courses de bateaux à aube. Avant le départ, les immenses bâtiments sont vidés de tout ce qui peut les lester et, donc, les retarder : les marchandises, mais aussi des pièces secondaires du bateau, et toute présence humaine superficielle... "On descendait à terre les "espars" et parfois même les mâts de charge qui les supportaient, et l'on ne gardait rien pour remettre le bateau à flot au cas où il s'échouerait. Lorsque l' Eclipse et le A. L. Shotwell se lancèrent dans leur grande course, il y a plusieurs années, on raconte que l'on avait pris la peine de gratter la dorure du panneau décoratif qui pendait entre les cheminées de l'Eclipse et que pour ce voyage-là le capitaine avait renoncé à ses gants de chevreau et qu'il s'était fait raser la tête. Mais j'en ai toujours douté.
(...)

On n'y acceptait pratiquement aucun passager, parce qu'ils ajoutaient du poids mais aussi parce qu'il "n'équilibraient" jamais le bateau. Ils ne cessaient pas de se précipiter du côté où il y avait quelque chose à voir, alors qu'un marin consciencieux et expérimenté serait resté au centre exact du vapeur et se serait fait la raie au milieu avec un niveau à bulle.
"

mercredi 18 juin 2008

Croatie 9


sur la partie sud de l'île de Korcula, dans le petit village de Pomena, on trouve, lorsqu'on accoste, un hôtel. L'eau est absolument transparente. Sur votre gauche, le bord de mer fait un angle et vous avez là, après le ponton qui avance, une demi douzaine de restaurants, en face des bateaux de plaisance amarrés. Ils semblent tous aussi bons, ils ont à peu près la même carte, pratiquent les mêmes prix, et possèdent chacun un vivier rempli de langoustes. Mais en fait, entre l'hôtel et ce bras de restaurants, dans le virage, juste au-dessus du ponton, un restaurant isolé surplombe la baie. Il ne paie pas de mine avec ses quatre tables en terrasse et son barbecue. Une famille timide attend patiemment les touristes égarés, ceux qui ne mangent pas tout au bord de l'eau... Leur risotto est délicieux. Leurs poissons sautent directement de l'eau dans la braise, et les calamars grillés sont divins. La vue est largement plus dégagée que chez les voisins.

lundi 16 juin 2008

Croatie 8

Nous avons accosté à Polace qui est un tout petit village. Un tout petit village avec une rue principale au bord de la mer. On y trouve trois ou quatre restaurants, trois bars, une épicerie, une agence de location de scooters pour faire le tour de l'île... Le premier restaurant n'affiche pas ses prix, et ce n'est pas un hasard. Il vous invite à vous amarrer sous sa terrasse et vous accueille en vous offrant un verre d'eau de vie qui fait passer le Brendy pour de l'eau de source.
La Croatie jouait ce soir-là son premier match de coupe d'Europe. Un vidéo projecteur incliné vers le haut à 70° diffusait la partie sur un mur orange. Je crois que la Croatie a gagné mais le public était très calme. Ils ont chanté l'hymne national une paire de fois et puis chacun est rentré chez soi. Plus tard, dans la nuit, alors que nous buvions un bourbon sur le pont du bateau, notre voisin, un gros Autrichien fatigué, barbu et certainement alcoolique, nous a apostrophé. Ses amis, en couples, étaient couchés, et il restait seul, affalé comme une vieille otarie. On s'est enquis de sa nationalité et ensuite, nous avons fait une remarque à propos de son pays qui organisait la coupe cette année. L'homme a répondu qu'il ne s'intéressait pas au football. nous avons répondu que nous non plus, ça nous intéressait pas trop. Même si c'était faux pour la majeure partie de notre équipage, c'était une bonne réponse. Le barbu nous a ensuite demandé si nous connaissions Cuba. Il nous a affirmé que c'était le paradis des marins. A un moment, dans la soirée, son verre lui a échappé des mains et a explosé sur le bateau.
Le lendemain, lorsque je me suis levé, il était à la même place, comme s'il n'avait pas bougé. Comme si des années de mer et d'alcool l'avaient incrusté là, à la poupe du bateau, parmi les éclats de verre brisé.

Croatie 7



A Korcula, les pierres taillées racontent discrètement de drôles d'histoires. L'église que tout le monde photographie de trop loin, outre ses deux espèces de lions fiers qui surplombent l'entrée, montre deux humains nus et accroupis dans une posture assez obscène. Plus bas, au milieu d'une paire d'escaliers qui bordent la vieille ville, une fontaine sort de la bouche d'une grenouille gravée dans la pierre, la tête en bas. A vingt mètres, à droite lorsqu'on regarde la grenouille, une statue de femme nue est dissimulée par un arbre au milieu d'un petit jardin. Lorsque je l'ai vue, une femme habillée la prenait en photo.

Croatie 6


Les viandes sont très cuites. Le prix du poisson est indiqué sur les cartes des restaurants au kilo (contrairement à tout le reste). Les croissants sont plutôt bons mais presque systématiquement remplis de quelque chose (chocolat dans le meilleur des cas, confiture la plupart du temps). Le café est une affaire sérieuse. Très proche de l'expresso italien, à peine moins concentré. Le vin n'a pas de goût, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer d'un pays voisin de l'Italie. En revanche, les pâtes, si elles ne sont pas al dente, sont tout de même proches des merveilleuses pâtes italiennes. Le risotto fait également partie des spécialités, qu'ils soit préparé au noir de seiche ou à la tomate avec des champignons. Le pain blanc, assez large, propose une mie épaisse et une croûte trop fine pour avoir du goût. Il y a quelques bons fromages à pâte dure.

dimanche 15 juin 2008

Croatie 5

Pour un naïf, vierge de la voile, un peu porté sur le cinéma, dans mon genre, une première virée en bateau signifie immanquablement des résurgences cinématographiques. Sans vouloir en faire trop, il me semble que le voyage en mer ou tout simplement sur l'eau, est proche du cinéma.
Quatre personnes sur un bateau se retrouvent tour à tour dans Calme blanc, Open Water, Tempête (The Perfect Storm), et même la traversée fluviale d'Apocalypse Now trouant la jungle vietnamienne qui n'a pourtant rien à voir avec la mer d'huile que nous voguons calmement. Ceux qui ont vus les films les racontent à ceux qui ne les ont pas vus, l'œil porté par le bateau fait du travelling à tout va, et les séquences les plus intenses remplacent les histoires de marin que nous ne serons jamais. On notera tout de même que tous ces films donnent plutôt dans l'angoisse.

Croatie 4


Par contre, il y a des chats. Dans la vieille ville de Dubrovnik, on croise forcément un des leurs qui cherche les miettes des étrangers et, de temps en temps, pousse un brame déchirant pour l'oreille humaine qui ignore qu'il signifie "Voilà une bonne trentaine de ces porcs de Français. S'ils sont aussi crades que ceux de ce matin, va y avoir du rab' !"
Même maigres, à demi-sauvages, et légèrement abîmés, les chats croates semblent plus propre s que ceux du reste de l'Europe. Ça n'est peut-être qu'une de ces impressions erronées que le voyageur touriste récolte inlassablement sans s'imaginer qu'il fait une généralité d'une suite de coïncidence, voire d'une observation rapide et distraite. N'empêche : les chats qui marchent dans les villages, qui traversent les terrasses des restaurants, font la sieste sur une chaise ou une rambarde étroite, tous ceux que j'ai croisé, étaient maigres, abîmés, et propres.

Croatie 3


De Dubrovnik à Korcula, sur une distance extrêmement réduite à l'échelle du grand voyageur virtuel que je suis (une sorte d'aventurier de l'ère GoogleEarth...) on découvre quelques dizaines d'îles, de toutes tailles, et dont les densités démographiques sont très variables. En toute logique, les plus petites sont désertes. Un fait remarquable est que ces petites émergences de roche et de terre, dont certaines ont une superficie si réduite qu'on en ferait le tour en une heure de marche, sont toutes, mais absolument toutes, vertes. D'un vert profond, uni, dense, et rafraîchissant. Le vert des arbres, probablement une variété de pins pour ce que j'en sais, qui trahit un climat tempéré, un sol sain et relativement fertile, une zone bien pourvue par la nature qui l'a conçue.
Un fait encore plus remarquable est que, la nature qui l'a conçue a complètement oublié d'y mettre des animaux. A ce stade du voyage, j'ai bien vu quatre mouettes se rapprocher d'une de ces îles, mais les effluves d'un chalutier à quelques centaines de miles les ont immédiatement fait virer de bord et ricaner de la petite île avec un mépris tout à fait raccord avec la méchanceté de ces volatiles.

Croatie 2

Mercredi, à six heures du matin, après un semblant de nuit, des pas lourds sur le bateau, bientôt suivis par des fortes voix qui parlaient certainement croate m'ont tiré du sommeil. Le "Lampuga", notre 41 pieds, était amarré à l'endroit exact où les pêcheurs débarquent leur marchandise. Lorsque j'ai réveillé le capitaine, ils avaient déjà défait les cordes pour amarrer notre bateau au leur. Leurs visages impassibles suffisaient cependant à évoquer clairement l'aspect provisoire de ce rapprochement. L'un d'eux, aussi large que haut, le crâne presque rasé, et les yeux clairs d'un vert délavé tirant vers le jaune, m'a particulièrement donné l'impression qu'un regard sans expression n'écartait pas pour autant la suggestion d'un meurtre à mains nues.
Nous nous sommes éloignés de quelques dizaines de mètres et avons mouillé l'ancre. Avec elle, est descendue au fond du port ce qui nous restait de dignité.

Croatie 1


L'un d'entre nous aime son café arrosé. Ici, ils l'améliorent d'un peu de Brandy National. Du Brendy, avec un "e". Le breuvage semble n'avoir pas grand rapport avec l'authentique Brandy. Il paraît plus approprié pour déboucher les canalisations. Le Brandy d'importation est peut-être meilleur, mais son prix interdit toute dilution dans un café. Et puis à quoi bon voyager si c'est pour éviter les productions locales ?